En 2018, la photographie devenait orpheline de l’une de ses plus grandes légendes. Abbas Attar, qui voulait qu’on ne l’appelle que par son prénom, était un homme de peu de mots mais de 1001 images. Célèbre pour son regard sur la révolution iranienne de 1979 qu’il a pu couvrir dans son intégralité, son oeil n’a jamais été circonscrit à une seule région du monde. Fasciné par le Mexique et par tant d’autres pays, il a mené pendant plus de trente ans, jusqu’à sa disparition, une vaste et fascinante enquête photographique sur les grandes religions et plus particulièrement sur les relations complexes qu’entretiennent les hommes avec leurs dieux. Avant d’entrer chez Magnum en 1981, il fait ses armes à Sipa et Gamma : dans chacune de ces agences, Abbas marquera les esprits de ses confrères qui continuent de voir en lui l’un des plus grands regards de ces dernières décennies. Plus qu’un simple photographe, Abbas s’impose comme un perfectionniste de la lumière, capable de réunir à la fois la rigueur journalistique, l’excellence visuelle ainsi qu’une profonde et humaine intégrité morale.
Depuis sa mort, aucune exposition n’a été réalisée sur l’ensemble de son oeuvre. Et le Festival Photo La Gacilly s’honore de pouvoir, en collaboration avec sa famille, présenter une grande rétrospective de son travail. À ses images d’actualité succèderont des clichés moins connus et plus contemplatifs d’Abbas, sur les hommes et leur environnement. Une exposition en noir et blanc où se côtoient sans cesse le réel et le mythe, la dérision et le fanatisme, le chaos et la beauté, la douceur et la tristesse, l’ombre et la lumière.
PRAIRIE
Gohar Dashti est née en Iran près de la frontière avec l’Irak, l’année où débutait une guerre entre les deux pays qui, jusqu’en 1988, allait déchirer la vie de milliers de familles. Dont celle de Dashti. « Ce conflit a eu une forte influence symbolique sur la vie affective de ma génération », explique la photographe et réalisatrice. Dans sa série Today’s Life and War, elle capture des moments illustrant une dualité : celle de la vie qui continue malgré les ravages de la guerre. « Dans un champ de bataille fictif, je montre un couple dans son quotidien : il représente le pouvoir de la persévérance, de la détermination et de la survie. »
Cette série photographique, qui date de 2008, a fait connaître Gohar Dashti de manière internationale et a été présentée dans de nombreux musées en Europe et aux États-Unis. Depuis ce travail intemporel qui conserve, 15 ans plus tard, une force évocatrice intacte, sa démarche a évolué, son style aussi, à la fois plasticien et documentaire, avec un regard sans cesse renouvelé. Preuve en est : les autres travaux présentés également à La Gacilly comme autant de témoignages sur notre relation avec notre environnement. Elle explique : « Les gens sont éphémères mais la nature est constante : elle sera là longtemps après que nous soyons tous partis. »
Des oeuvres intelligentes et subtiles, qui utilisent la géographie comme un outil narratif à part pour raconter les relations entre les hommes et le monde qu’ils habitent. En exclusivité, nous exposons son dernier travail, Near and Far, achevé en 2022, kaléidoscope photographique inspiré de l’architecture, des paysages et des arts islamiques.
JARDIN DES MARAIS
Un coup d’oeil aux photos qui ont permis à Ebrahim Noroozi de remporter plusieurs prix au World Press Photo suffit pour comprendre l’incroyable polyvalence de ce photographe iranien, à la fois journaliste confirmé, grand défenseur de la cause environnementale, mais aussi plasticien à l’oeil novateur. Jouissant d’une immense renommée internationale, son travail, entre son Iran natal, l’Inde ou encore l’Afghanistan, s’est retrouvé imprimé sur les pages des plus prestigieux magazines comme le New York Times, le Time ou le Washington Post : dans une série, il documente l’effrayante histoire d’une mère et de sa fille, toutes deux attaquées à l’acide par leur mari et père. Dans une autre, il pose un regard sans complaisance sur son pays, dénonçant la peine de mort par pendaison.
Mais ce caméléon de la photographie sait aussi brouiller les pistes, en s’imposant comme un artiste de l’abstraction, travaillant sur les éléments et la nature, maniant l’utilisation de la couleur jusqu’à la perfection. Deux séries d’Ebrahim Noroozi sont présentées à La Gacilly, dans un style photographique semblant tout droit sorti d’un rêve éveillé sur les méfaits du réchauffement climatique : l’une nous emmène au lac d’Ourmia, l’un des plus grands lacs salés au monde qui risque de bientôt disparaitre et dont les eaux, à l’arrivée de l’été, deviennent empourprées en raison des algues et des bactéries. Dans un second chapitre, le photographe s’intéresse à la relation entre les hommes et les ressources en eau de son pays : un tiers de l’Iran est recouvert de déserts et les sécheresses y sont de plus en plus fréquentes, entrainant d’importantes pénuries en eau.
JARDIN DES MARAIS
De son propre aveu, Maryam Firuzi n’avait pas prévu de devenir photographe. Cette talentueuse réalisatrice iranienne, diplômée en calligraphie persane et en étude cinématographique, découvre la grammaire de l’image fixe lors de ses projets étudiants et du soutien de sa thèse sur l’introspection dans le cinéma.
« Je suis convaincue que tous les médiums sont liés les uns avec les autres », racontait-t-elle dans un entretien à Paris Photo, où son travail a été exposé par la Silk Road Gallery de Téhéran. « Ma pratique est influencée par toutes ces formes d’art de différentes manières. La
calligraphie m’a appris la discipline et le dévouement. La peinture, la liberté d’expression et la littérature la bonne manière de développer et d’articuler mes idées. »
Dans ses séries photographiques où s’exprime son regard fondamentalement novateur, Firuzi explore son monde – celui de l’Iran actuel. Un univers dans lequel la place de la femme est de facto complexe. Elle réfléchit sur la notion de l’héritage, sur le port du voile et les cheveux… Elle explique : « Dans mon pays où le genre est un sujet sensible, dans toutes les strates de la société, est-il possible de ne pas penser à son statut de femme dans mon travail ? La présence du genre est tellement importante que j’ai parfois peur d’être ‘forcée’ à penser comme une femme, à créer des œuvres qui ne touchent que les femmes. »
Quatre séries de Maryam Firuzi sont exposées à La Gacilly, dont une présentée en exclusivité pour le festival.
Un regard qui bouleverse toutes nos notions de la photographie.
PLACE DE LA FERRONNERIE ET RUE LA FAYETTE
Exposition réalisée en collaboration avec la Silk Road Gallery à Téhéran.
La plus vaste province d’Iran, Sistan-et-Balouchistan, est située au sud-est du pays. Limitrophe avec le Pakistan et l’Afghanistan, elle était considérée dans le passé comme un grenier à céréales et est mentionnée dans les textes historiques comme une région verdoyante, avec une abondance en eau et une terre riche et fertile nourrissant une civilisation remontant à 5 000 ans. Aujourd’hui, elle est l’une des zones les plus sèches du pays à cause de bouleversements climatiques sans commune mesure. 30 % de la population a quitté le Sistan-et-Balouchistan pour fuir le chômage et le désespoir que cette pénurie d’eau a entraîné.
Cette sécheresse représente un problème écologique, économique et social majeur en Iran. Elle a longtemps été l’un des objets du travail d’Hashem Shakeri. Photographe iranien vivant en Allemagne, ce jeune photojournaliste de 34 ans a déjà une carrière auréolée des prix les plus prestigieux comme la bourse Ian Parry, le prix Lucas Dolega, le prix UNICEF de la photo de l’année et la bourse Getty Images. Ses clichés sur l’effet de la pandémie et du confinement en Iran ont été mondialement salués et publiés dans le très prestigieux magazine The New Yorker.
Ses images de la sécheresse se remarquent par leur chromie particulière, leur composition millimétrée et des cadrages précis qui donnent à voir des scènes et des paysages presque lunaires. Autre série présentée : son travail autour des nouvelles villes satellites érigées et surgissant du désert pour héberger les Iraniens contraints de quitter Téhéran en raison de la flambée du prix des terrains et des conditions de vie de plus en plus difficiles.
JARDIN DES MARAIS
Exposition réalisée en collaboration avec la Silk Road Gallery à Téhéran.
Dernier roi d’Afghanistan, Mohammad Zaher Shah règne sur le pays de 1933 jusqu’à 1973. En 1959, il encourage la scolarisation et l’émancipation des femmes ; en 1964, il fait adopter une constitution inspirée de celle de la Ve République française. Sous son règne, son pays cherche à s’ouvrir au monde extérieur.
Le photographe français Paul Almasy nous a quitté en 2003 et a eu la chance de pouvoir visiter cette nation qui rêvait de sortir d’un système féodal. Celui qui a visité tous les pays de la planète, à l’exception de la Mongolie, naît à Budapest en 1906 d’un père juif et d’une mère aristocrate. Il débute sa carrière dans les années 1930 et couvre les prémices de la Seconde Guerre mondiale en Allemagne. Contrairement à la majorité des photoreporters de l’époque, Almasy sait qu’on ne raconte pas le monde qu’à travers les conflits et la violence mais, aussi, en s’attardant sur les difficultés sociales. En 1965, précurseur des problématiques qui deviendront centrales dans notre XXIe siècle, il publie notamment un vaste reportage sur le manque d’eau dans le monde.
C’est dans les années 1950-1960 qu’il découvre l’Afghanistan dont il rapporte des images qui semblent irréelles à l’heure où les talibans se sont à nouveau emparés du pays pour proclamer leur émirat islamique. Un regard historique et documentaire donc, nostalgique sans aucun doute, mais qui permet de mieux comprendre le passé de l’Afghanistan et – espérons-le – de présager de son futur délivré des griffes de l’obscurantisme.
JARDIN DE L'AFF
Exposition réalisée en collaboration avec l’agence akg-images.
La carrière de Véronique de Viguerie débute avec le XXIe siècle puisque c’est en 1999 qu’elle pose pour la première fois le pied en Afghanistan. Elle a 21 ans et tombe immédiatement sous le charme du pays. « J’étais stupéfaite par tout ce qui m’entourait. J’avais l’impression d’avoir fait un voyage dans le temps ; les hommes portant des turbans, les femmes en burqas… » Elle prévoit de s’y installer quelques mois ; elle vivra à Kaboul pendant trois ans.
Colombie, Irak, Somalie : Véronique de Viguerie connaît un succès retentissant très rapidement, se fait remarquer par les plus prestigieuses publications françaises et internationales et, photoreporter émérite, rafle toutes les récompenses : le prix Bayeux des correspondants de guerre, un World Press Photo, et plusieurs Visa d’or.
Véronique de Viguerie couvre les évènements en Afghanistan depuis le début des années 2000. Ses sujets ont bien évidemment traité des complexités d’un pays meurtri par deux décennies de guerres intestines et d’occupation militaire, mais elle a toujours su réaliser des pas de côtés pour montrer la vie quotidienne des hommes et des femmes qui y vivent : en parallèle de ses sujets exclusifs sur les talibans, elle est capable de documenter la pratique du ski par les Hazaras de Bamiyan, mais aussi de montrer la tendresse d’un couple de paysans, l’espoir et le rire des plus jeunes.
Ce sont ces éclats de paix que nous présentons cette année à La Gacilly : des fragments d’intimité, des poussières de quiétude, des instants de calme loin du tumulte de la guerre et de l’écume de l’actualité.
JARDIN DU RELAIS POSTAL
Le 15 août dernier, les talibans entraient dans Kaboul après avoir été évincés du pouvoir il y a tout juste vingt ans. Le groupe extrémiste règne à nouveau d’une main de fer sur l’Afghanistan, rétablissant la loi islamique sur toute la société. Avec pour premières victimes : les femmes, qui doivent à nouveau s’effacer derrière leur burqa et dont les libertés fondamentales sont bafouées. Contrainte de quitter son pays, la talentueuse artiste Fatimah Hossaini, 28 ans, a trouvé refuge en France, n’emportant dans sa fuite que les précieuses photographies qu’elle avait réalisées et qui, toutes, rendent un vibrant hommage à la beauté unique des femmes afghanes. Celles ci ont rarement l’occasion de s’exprimer librement et doivent affronter au quotidien des obstacles liés au poids d’un lourd héritage culturel, et relever des défis bien plus redoutables que d’autres femmes dans le monde. Les femmes photographiées et célébrées par Fatimah Hossaini sont belles et font preuve de courage, de dignité au coeur des pires épreuves. C’est le pari de cette exposition qui montre les multiples visages de cette beauté, issus des différentes ethnies d’Afghanistan : Pachtounes, Tadjiks, Hazaras, Qizilbashs ou Ouzbeks, vêtues de leurs costumes traditionnels. De leurs traits, de leurs regards et de leur maintien jaillit ce qui en elles incarne autant la féminité que l’espoir. Ici se conjuguent la beauté et la paix, et la paix est toujours belle. À l’heure où, selon les mots de l’écrivain Yasmina Khadra, « les hommes sont devenus fous, tournant le dos au jour pour faire face à la nuit », n’oublions pas le destin de ces femmes…
BOUT DU PONT
Shah Marai a débuté à l’AFP comme chauffeur et traducteur en 1996 avant de devenir officiellement photographe en 2001 quand les talibans furent chassés du pouvoir – il prendra ensuite la tête du bureau de Kaboul. En 2018, il meurt lors d’un double attentat suicide qui coûte la vie à 25 personnes. Arrivé après la première explosion, il est ciblé avec d’autres journalistes par un second kamikaze. Dans un pays bouleversé par l’occupation américaine et l’insécurité, ses images, pleines d’empathie pour son peuple, sont exposées aux côtés de celles de Wakil Kohsar.
Arrivé à l’AFP il y a neuf ans après avoir collaboré avec de nombreux médias afghans, Wakil Kohsar a pris la relève de son confrère Shah Marai. À la tête du bureau de Kaboul, il a notamment couvert la chute de la ville en août dernier. Ses photos de l’aéroport et des avions auxquels s’accrochent des silhouettes désespérées et celles montrant la tension et la panique des soldats américains ont fait le tour du monde. Seule agence étrangère dont les bureaux sont encore ouverts à Kaboul, l’AFP continue de travailler dans des circonstances toujours plus dangereuses pour informer le monde sur un pays retombé aux mains de l’obscurantisme religieux.
JARDIN DE LA PASSERELLE
Exposition réalisée en collaboration avec l'Agence France-Presse.
27 décembre 2007 : la première ministre Benazir Bhutto est assassinée à Rawalpindi, au Pakistan. Coincée dans son taxi pris dans les embouteillages pour rejoindre le meeting de cette opposante à Pervez Musharraf, Sarah Caron se retrouve au cœur de l’une des périodes les plus tumultueuses de cette république islamique. Un mois plus tôt, elle décrochait une commande pour Time Magazine avec un scoop : un entretien et une session photo avec Bhutto, alors assignée à résidence. Si vous pensez que sa vie est digne d’un roman, c’est normal. Elle en a d’ailleurs fait une bande-dessinée.
Mais l’histoire de cette photojournaliste française de premier plan débute bien avant ces évènements de 2007. Elle se fait remarquer dès ses premières images prises en Inde – ce sujet sur l’exil des veuves dans le nord du pays lui valent d’être exposée à Visa pour l’Image dès 1999. Celle qui se destinait pourtant à devenir danseuse classique embrasse alors définitivement la voie de la photographie et du reportage. Avec un regard toujours élégant, jamais racoleur, elle s’empresse de documenter les meilleurs sujets : ceux dont on ne parle pas assez.
Si ses objectifs se posent là où son instinct de journaliste la guide, c’est au Pakistan depuis quinze ans, et où elle réside désormais, que Sarah Caron réalise la majorité de son travail. D’un pays dont on ne montre souvent que les pires aspects, elle présente ici des variations de ce Pakistan qu’elle a traversé d’ouest en est, du nord au sud ; de la fourmilière Karachi aux contreforts de l’Hindu Kush. Une rétrospective de son travail au plus près des femmes et des hommes de cette nation singulière.
GRAND CHÊNE