« Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté ».
Winston Churchill

 

Et si, raisonnablement, nous pouvions avoir confiance dans l’avenir et croire enfin que nos enfants connaîtront un monde meilleur que le nôtre. Certes, la période que nous vivons, secouée par des chocs violents et imprévisibles, suffirait à prouver le contraire.

Reste que la voix des annonciateurs du déclin et de l’effondrement de nos civilisations, amplifiée par le catastrophisme des médias et des réseaux sociaux, porte davantage que celle des rationalistes. Car c’est la volonté d’action et de réussite qui devrait se substituer à la peur et à la culpabilité.

Quelques données sont utiles à délivrer pour démontrer cette surestimation des dangers. La pauvreté extrême est sur la voie de l’éradication. En 1990, 36% de la population vivait, selon la Banque mondiale, dans des conditions de dénuement total. Ce taux est passé à 9% désormais. De plus, presque toute l’humanité est aujourd’hui alphabétisée, la santé humaine s’améliore, surtout dans les pays les plus pauvres, enfin le monde avance vers toujours plus d’égalitarisme, surtout dans les revenus et les droits de l’homme, grâce à la vigilance des grandes institutions internationales.

Sur le plan environnemental, parviendrons-nous à infléchir des prévisions toujours plus inquiétantes ? Le président du Giec lui-même, Hoesung Lee, y croit : « L’humanité dispose du savoir-faire et de la technologie nécessaires pour lutter contre ce dérèglement provoqué par l’être humain ». Et l’actualité récente de corroborer ses dires : en décembre dernier, les 200 pays présents à la COP 28 de Dubaï ont mentionné pour la première fois l’objectif d’une sortie des énergies fossiles. Pour ce faire, les solutions existent. Oui, le solaire et l’éolien ont un avenir, d’autant plus que le prix des batteries au lithium a baissé de plus de 50 % en dix ans. Oui, la sobriété ça s’apprend. Oui, on peut modifier le contenu de nos assiettes. Oui, enfin, on peut restaurer les écosystèmes plutôt que de les appauvrir.

Garder espoir, mieux comprendre le monde qui nous entoure pour mieux l’appréhender, révéler les ferments de beauté pour conserver intacte notre capacité d’émerveillement, ce sont les missions que notre Festival Photo La Gacilly a toujours défendues, dans les œuvres de ces artistes qui s’interrogent sur notre monde en mouvement.

Focus sur cette si lointaine Australie

Pas étonnant dans ces conditions que, pour cette 21ème édition, nous ayons décidé de mettre le cap sur l’Australie, une île-continent bien lointaine, trop peu connue, rarement sous les feux de l’actualité, si souvent fantasmée pour ces espaces encore vierges et inviolées. Mais derrière ces clichés de l’exotisme se cache parfois une réalité que nous ignorons et que seuls les artistes de ce pays d’Océanie savent véritablement saisir. Avec une superficie géante de 7 741 200 km2 (14 fois la France) pour à peine plus de 26 millions d’habitants, on s’imagine d’abord une terre rêvée, avec des forêts tropicales humides couvrant 17% de sa surface, une barrière de corail inscrite au Patrimoine mondial de l’Humanité, une faune comptant des espèces endémiques, kangourous, koalas, diables de Tasmanie qui suscitent toutes les passions. La vérité est plus complexe.

Longtemps pointée du doigt ces dernières années pour sa politique peu ambitieuse en matière de climat, l’Australie, premier exportateur de charbon et deuxième pire pollueur de la planète par habitant derrière l’Arabie saoudite, a connu des catastrophes à répétition. La plus grave sécheresse jamais enregistrée dans le pays -elle aura duré dix ans-, s’est achevée en 2020 par des feux de forêt détruisant près de sept millions d’hectares de forêts. Les flammes ont ensuite laissé place à des trombes d’eau qui se sont traduites, deux années de suite, par des inondations massives. En outre, la Grande Barrière de corail, où se concentre 25% de la biodiversité marine de la planète, s’éteint doucement, subissant en 2024 son septième « blanchissement massif » depuis 1998. Et la situation des Aborigènes, arrivés 60 000 ans sur cette terre avant l’arrivée massive des colons au XVIIIe siècle, est loin d’être enviable, avec des droits minorés et bafoués. Un espoir cependant ? Conscient de son retard en matière environnemental, le Parlement australien a multiplié les initiatives positives, votant en 2022 une loi revoyant à la hausse ses objectifs de réduction d’émissions de CO2 et prévoyant enfin de privilégier les énergies renouvelables au détriment du charbon qui fournit l’essentiel de son électricité.

Une photographie poétique et sans artifice

Engagés, amoureux de leur pays au point d’en dénoncer avec poésie ses propres travers, utilisant une écriture visuelle débordant de créativité, les photographes australiens que vous découvrez dans les venelles, dans les jardins, dans les rues de notre village breton, sont les fers de lance d’une beauté à préserver. Artiste aborigène résolument engagée dans la défense des peuples autochtones, Bobby Lockyer préfère montrer la dignité de ses congénères plutôt que leur désespérance. Adam Ferguson, photojournaliste émérite, lui aussi rend hommage à cette terre qui l’a vu naitre et a parcouru ce vaste territoire australien où des populations isolées font corps avec une nature hostile. Savoir tirer les enseignements des leçons du passé ? C’est tout le propos de Matthew Abbot qui a documenté et obtenu un World Press Photo pour ses reportages poignants et terrifiants des incendies qui ont ravagé comme jamais l’île-continent en 2020.

Comprendre, découvrir, aller à la rencontre de l’autre, sans doute la photographe française Viviane Dalles cherchait-elle des réponses face à l’immensité de ce territoire méconnu où le domaine d’une ferme peut atteindre la taille d’un département français. Narelle Autio et Trent Parke, unis dans la vie, ont, eux, toujours choisi de documenter, avec, chacun leur style propre, leur pays natal. La première, considérée comme l’une des artistes australiennes les plus collectionnées, s’intéresse aux éléments naturels et développe une recherche esthétique de nos confrontations avec nos milieux. Quant à Trent Parke, membre de la célèbre agence Magnum, il est considéré comme l’un des photographes les plus innovants de sa génération. Entre poésie et humour noir, ses œuvres se situent entre fiction et réalité, en explorant les thèmes de l’identité et de l’environnement.

Nous emporter loin des frontières du réel dans des écritures photographiques lumineuses ? Notre Festival a toujours souhaité accompagner des artistes inventifs dont la grâce procure de belles émotions. C’est le cas d’Anne Zahalka. Si les animaux qu’elle met en lumière sont tous menacés par l’urbanisation et les méfaits du climat, elle les transporte dans un univers fantasmagorique, en utilisant les procédés des naturalistes d’antan. Tamara Dean, quant à elle, bouleverse nos champs de vision, entre rêve et réalité, et nous sensibilise avec douceur et évanescence à la fragilité de nos écosystèmes. Enfin, dans ce partenariat que nous sommes fiers de poursuivre avec l’Agence France-Presse, maillon essentiel de l’information internationale, nous présentons les clichés de photojournalistes qui nous dévoilent l’enfer du décor des peuples autochtones d’Océanie et d’Australie en proie à la pauvreté, au chômage, au mal-logement.

 

Des regards engagés au nom de la beauté

Année après année, fidèle à notre engagement de respecter cette nature qui offre la vie, notre Festival est devenu le réceptacle de ces photographes qui ont le souci de montrer une réalité qui, parfois dérange, parfois nous éblouit. Avec America(s), nous avons souhaité vous présenter deux visions des Etats-Unis qu’aujourd’hui tout oppose, celle des villes et celle des campagnes. A tout seigneur, tout honneur, nous avons l’honneur d’accueillir sur nos cimaises une rétrospective exceptionnelle de Joel Meyerowitz, un géant de la photographie contemporaine, l’un des pionniers de la couleur, sur cette Amérique qui voue un culte aux mégapoles. En contrepoint, le travail tout en douceur de la jeune et talentueuse Louise Johns : elle vit au plus près des populations rurales, dans le Montana, et nous dépeint, dans des fresques somptueuses, ces grands espaces qui ont forgé notre imaginaire.

Montrer cette réalité d’un monde qui ne tourne plus rond est un devoir pour alerter et appréhender notre avenir. Lauréat du Prix photo pour la photographie humaniste et environnemental du CCFD-Terre Solidaire, l’Italien Alessandro Cinque présente à La Gacilly son travail au long-cours sur les conséquences de l’exploitation minière pour les populations andines. Autre problématique majeure de nos civilisations modernes : comment nourrir une population de 8 milliards d’êtres humains ? Le photojournaliste George Steinmetz, compagnon de route du Festival, répond en images à cette question avec une exposition inédite, « Feed The Planet » qui est le fruit de dix années d’enquêtes dans plus de quarante pays. Mitch Dobrowner parvient, lui, à rendre flamboyantes les scènes les plus effrayantes des phénomènes météorologiques extrêmes. Ses clichés sont des tableaux de l’apocalypse que l’on contemple pourtant avec fascination.  Cette nature maltraitée, on peut aussi l’évoquer en la dévoilant dans des photographies plus artistiques, plus énigmatiques aussi. Alice Pallot est la lauréate cette année du Prix des Nouvelles Ecritures : son travail sur les « Algues maudites » sensibilise au problème de la prolifération des algues vertes sur les côtes bretonnes, en captant l’invisible, dans une esthétique souvent futuriste.

La Gacilly se veut un soutien indéfectible à la création photographique pour celles et ceux qui ont la nature chevillée au corps.  Grâce à la Fondation Yves Rocher, à nos côtés depuis les origines du Festival, un nouvel opus est présenté sur ces sanctuaires vivants à préserver : Ulla Lohmann s’est rendue en Nouvelle-Bretagne, une province oubliée de Papouasie-Nouvelle-Guinée, pour une immersion avec ces peuples des volcans qui vivent en autarcie. Quant à Gaël Turine, récipiendaire pour l’année 2023 du Prix Photo Fondation Yves Rocher, en partenariat avec Visa pour l’Image, il nous plonge au cœur des forêts sacrées du Bénin, au milieu des dieux vaudous, véritables gardiens de la biodiversité. Et puis, sur nos terres du Morbihan, avec le soutien du Conseil départemental, l’artiste Sophie Zenon donne libre cours à sa créativité en nous emportant à la découverte de notre patrimoine rural : elle a sillonné cet hiver les sentiers côtiers et la lande bretonne pour nous offrir ses impressions délicates de nos trésors méconnus.

Enfin, pour rendre hommage à la beauté, à la délicatesse, à la poésie, c’est un photographe de légende qui nous emportera dans ses pérégrinations. Bernard Plossu, inlassable voyageur-migrateur, présente en grands formats ses photographies couleurs, avec des tirages Fresson qui confèrent à ses paysages un aspect irréel.

Cet été 2024 est placé en France sous le signe de la fête et les Jeux olympiques, que notre pays a la chance d’accueillir, sont l’occasion de célébrer le sport et l’unité des peuples. A La Gacilly, nous accompagnons nous aussi les visiteurs dans leur quête du merveilleux en faisant l’éloge d’une planète que nous chérissons.

 

Cyril Drouhet

Commissaire des Expositions