« À quoi bon avoir une maison sur une planète qui n’est plus habitable ? »
Henry David Thoreau (1817-1862)
Sur cette Terre où nous vivons, les hommes ont longtemps cru qu’elle était éternelle, que ses ressources étaient inépuisables. Ils l’ont explorée, ils l’ont creusée, ils l’ont transformée, ils l’ont finalement épuisée.
Il y a 15 ans, le Festival Photo La Gacilly était créé pour faire prendre conscience, par la force de l’image, de la beauté si fragile de notre planète, malmenée par une industrialisation effrénée, bouleversée par l’urbanisation, appauvrie par l’exploitation des sols. Les yeux des photographes se sont posés, en douceur ou en révolte, pour magnifier, documenter, interpeller, ou tout simplement mettre en évidence ce lien vital qui unit les hommes à la nature. Les plus grandes signatures de la photographie contemporaine nous ont accompagnés tout au long de ces années : ils sont, à leur manière, des gardiens protecteurs de notre Terre.
Sans leurs clichés, sans leur volonté de faire savoir, sans leur sensibilité, sans leur implacable vision de notre société en devenir, nous n’aurions pas cette même faculté d’émerveillement face au spectacle de la faune sauvage, des dernières forêts millénaires encore inviolées, ou du miracle de la vie ; nous n’aurions pas non plus cette connaissance des tragédies qui se jouent, de ces villes inhumaines où s’entassent des populations toujours plus nombreuses, de ces grands travaux qui détruisent parfois tout un écosystème, de ces pollutions qui mettent en danger notre patrimoine commun.
Depuis sa première édition en 2004, notre Festival a exposé près de 300 auteurs, fait découvrir aux visiteurs plus de 7 000 photographies, comme autant de fenêtres ouvertes sur le monde. Dans nos galeries à ciel ouvert, dans nos venelles, dans nos jardins offerts à l’art passant, nous avons voulu partager, l’espace d’un été, avec un public familial et toujours plus nombreux, ces instantanés de la brutalité de l’époque, mais aussi des images d’espoir, ou tout simplement de beauté. Car ces photojournalistes et ces artistes renommés que nous présentons chaque année ont tous cette folle passion de notre terre, courant la planète à la recherche de la photo vérité. Certains d’entre eux sont devenus des compagnons de route : Brent Stirton, Pascal Maitre, Michael Nichols, Pierre de Vallombreuse, Sophie Zénon, ou Nick Brandt, la liste est longue. Qu’ils en soient ici remerciés. Pour leur talent et leur fidélité.
Pour cette 15e édition, nous aurions aimé que cet anniversaire soit la célébration d’une Terre revitaminée, objet de toutes les attentions d’une humanité enfin soucieuse de son avenir. Las, le temps s’est accéléré, les premiers lanceurs d’alerte se sont manifestés, les états n’en finissent pas de se réunir au chevet d’un monde malade et, si nous savons tous qu’il est urgent d’agir pour ne pas assister à notre propre ruine, nous nous rapprochons inexorablement et à grands pas du précipice de nos illusions. Car, tout au long de notre histoire, nous avons regardé la nature sans la voir. Nous n’avons pas cherché à l’aimer, mais à la dompter.
• Peut-on encore sauver la maison qui brûle ?
En 1992, 1 700 chercheurs exhortaient à réagir face à la destruction de l’environnement, craignant que « l’humanité ne pousse les écosystèmes au-delà de leurs capacités à entretenir le tissu de la vie ». Mais la situation s’est encore plus aggravée et devant l’ampleur du phénomène, plus de 15 000 scientifiques ont signé un cri d’alarme sans précédent, 25 ans plus tard, en novembre 2017. En un quart de siècle, ont-ils constaté, les forêts ont disparu comme peau de chagrin (1,2 milliard de kilomètres carrés engloutis, essentiellement au profit de l’agriculture) ; l’abondance des mammifères, reptiles, amphibiens, oiseaux et poissons a chuté de près d’un tiers ; les courbes des émissions de gaz à effet de serre et des températures s’envolent. Dans le même temps, dans l’océan, la superficie des « zones mortes », ces espaces marins étouffés par les effluents agricoles charriés par les fleuves, et où l’oxygène a presque totalement disparu, a crû de 75%. Et ces dégradations interviennent à mesure que la population humaine grimpe : elle a augmenté de plus d’un tiers depuis la publication du premier appel.
Pour les chercheurs, nos seules chances de salut passent par un sursaut collectif et aussi individuel. Sinon, il sera trop tard ! Pour inverser ces tendances, ils préconisent en toute urgence de freiner la croissance démographique en généralisant le planning familial, de créer un plus grand nombre de réserves naturelles, de renforcer les lois contre le braconnage, d’encourager à grande échelle les énergies renouvelables et autres technologies vertes. Prendre le temps d’observer, de contempler, de respecter cette nature qui nous donne la vie. Refuser de se voiler la face en assumant de montrer les empreintes irréversibles que nous laissons derrière nous. Montrer ces ferments de progrès comme des leçons d’espoir. C’est la mission que s’est toujours donné le Festival de La Gacilly. Pour cette édition 2018, pour nos 15 ans, nous avons voulu rassembler les plus belles écritures photographiques, qu’elles soient documentaires, photo-journalistiques ou artistiques, qui allient prise de conscience, mais aussi enchantement ou beauté du monde.
• De l’émerveillement ?
Le spationaute Thomas Pesquet a fait rêver des millions de Français lors de son odyssée à bord de la Station spatiale européenne. Il s’est révélé un photographe hors pair et un défenseur de la cause environnementale, avec des propos d’une grande justesse : « La terre est un vaisseau spatial avec un équipage de 7 milliards d’individus qui cherchent à survivre. Ce sont mes photos qui me permettent
aujourd’hui de partager cette nouvelle conscience avec vous. » Nous exposerons ses clichés depuis l’espace qui montrent que « notre planète est magnifique, mais périssable ». Les images réalisées par Spike Walker lui répondront étrangement : ce scientifique britannique nous plonge dans le « microcosmos » des organismes vivants et nous dévoile cette vie que l’on ne voit pas. Mais la beauté du monde, c’est aussi l’incroyable travail réalisé par Philippe Bourseiller sur la glace et l’eau, par Jean Gaumy sur l’abstraction des roches, par Olaf Otto Becker sur les forêts primaires, par Matthieu Ricard sur l’harmonie avec leur nature des peuples himalayens, par William Albert Allard, le plus grand des coloristes, sur cette Amérique que l’on aime, celle des grands espaces, par les photographes amateurs d’Image sans Frontière dont nous dévoilerons les plus beaux clichés de la Terre. Nous célébrerons également le monde animalier dont l’équilibre est menacé : celui, sauvage de l’Américain Michael Nichols, envoûtant de l’artiste Karen Knorr, ou inquiétant de l’Allemand Jan C. Schlegel.
• De l’engagement ?
Le Festival de La Gacilly ne se contente pas d’être le réceptacle des grands ambassadeurs de la photographie mais se veut un soutien actif de la cause environnementale. Les États ont un rôle à jouer, les entreprises aussi. Chaque année, 13 millions d’hectares de forêts disparaissent à travers le monde, soit l’équivalent de quatre fois la superficie de la Belgique. D’ici 2020, la Fondation Yves Rocher s’est engagée à planter 100 millions d’arbres et finance des projets photographiques pour sensibiliser le public à cette déforestation massive. Nous dévoilerons en exclusivité cette année les travaux réalisés, à cette occasion, par Brent Stirton en Ethiopie, Emanuele Scorcelletti en Inde et Phil Moore en France. Mais cette politique de production photographique va plus loin : la franco-espagnole Catalina Martin-Chico a passé deux mois en résidence au sein de notre village pour se pencher sur la jeunesse gacilienne. Edouard Elias, quant à lui, a sillonné le Morbihan, avec le soutien du Conseil départemental, pour montrer tous ces habitats qui font la diversité de notre territoire. Enfin, nous affirmons notre volonté de mettre en valeur les nouveaux talents de demain, en poursuivant avec le magazine Fisheye notre partenariat sur la photographie émergente et en reconduisant notre Festival photo des collégiens du Morbihan.
Reste que notre engagement tient aussi aux messages que nous souhaitons transmettre aux générations futures, via les photographes et l’intelligence de leurs images. Chris Jordan réalise des fresques grandioses mais trompeuses en montrant les méfaits de la surconsommation, l’artiste Stéphane Couturier explore ces ensembles surpeuplés que nous avons bâtis, Patrick Tourneboeuf nous donne le tournis en nous montrant ces cités du futur, bâties à la hâte en Inde ou en Chine, Fausto Podavini exposera les ravages - en Ethiopie – qu’une politique de grands travaux peut engendrer sur les populations locales, Frédéric
Delangle nous emmènera, avec délicatesse, dans les fourmilières humaines du sous-continent indien, Robert et Shana ParkeHarrison donneront leur vision onirique et surréaliste de cette Terre abîmée.
• Des solutions ?
Elles existent et passent par le respect des populations, par l’obligatoire harmonie entre l’homme et son milieu naturel, par le développement d’une technologie innovante et moins polluante. Miquel Dewever-Plana a posé son objectif sur le drame des Amérindiens de Guyane, délivrant des portraits d’une population en quête d’identité. Une question au coeur de toute l’oeuvre de la photographe brésilienne Claudia Andujar qui, en partageant, durant plusieurs décennies, le quotidien des Yanomanis d’Amazonie, a permis la protection de cette communauté indigène. Nous découvrirons aussi pour la première fois en France les
photographies si délicates, si poétiques, du Russe Emil Gataullin sur la ruralité de son pays, si loin des visions apocalyptiques d’une Russie industrielle et désincarnée.
Quant au Slovène Matjaz Krivic, il dévoilera la réalité du lithium, ce métal alcalin que nous utilisons déjà dans nos smartphones et qui révolutionnera le monde de demain en fournissant toutes les batteries de nos véhicules électriques. Ce sont le succès populaire, le message délivré, la qualité des photographes exposés qui permettent au Festival de La Gacilly d’être présent pour une quinzième année. Nos valeurs, notre exigence, notre amour de la photographie continueront de nous porter tant que le public répondra présent. Et nous sommes fiers de vous annoncer que notre concept d’expositions en plein air, sur grand format, autour des questions environnementales fait désormais des émules : le 8 juin prochain, la petite ville de Baden, en Autriche, ouvrira ses jardins, ses rues, ses parcs à la première édition du Festival Photo La Gacilly-Baden. Une nouvelle aventure commence !