« L’Homme a dû combattre la nature pour survivre. Dans ce siècle, il commence à comprendre que pour survivre, il doit la protéger. » Charles III
Nous sommes le 21 septembre 2023 et le nouveau souverain du Royaume-Uni, lors de sa visite d’Etat en France, monte avec assurance à la tribune du Sénat pour défendre le combat de sa vie, celui de la protection de la biodiversité, d’une agriculture respectueuse des bienfaits de la terre, de la lutte contre le changement climatique. Charles III, pour ceux qui l’ignoraient encore, s’est toujours distingué par son avant-gardisme écologique, n’hésitant pas, au passage, à publier chaque année son bilan carbone. Il abhorre d’instinct tout ce que la société industrielle a engendré : le saccage de la nature, la taylorisation anonyme et la croissance à tout prix. Utopiste militant, il prône les fermes modèles et les circuits courts. Dans son domaine de Highgrove House, dans le Gloucestershire, il ne fait pas autre chose. Depuis 1985, il a converti les 365 hectares de sa propriété en laboratoire biologique, dans une agriculture vertueuse bannissant les OGM, les engrais chimiques et les fertilisants synthétiques. Notre sang bleu n’éructe pas contre les pollueurs – il est trop bien éduqué pour cela -, mais il agit pour sauver un bout de la planète : sa terre, celle où il a ses racines et ses repères. Ce que devrait s’imposer chaque individu que nous sommes pour faire rayonner un peu de civisme planétaire.
Coup de froid sur le climat
Original, le roi d’Angleterre ? À contre-courant surtout du déni qui s’est emparé de notre époque. Car il souffle décidément un sacré coup de froid sur le climat, prioritaire il y a encore peu, relégué désormais loin des priorités de nos dirigeants. Il faut dire qu’un vent mauvais s’est abattu sur notre planète, avec son cortège de nouvelles funestes et anxiogènes, qui ne nous rend guère enclins à nous projeter sur l’avenir avec optimisme : conflits au Proche-Orient et en Ukraine, menaces d’utilisation de l’arme nucléaire, tensions économiques, montée des populismes, replis protectionnistes, et l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche qui, c’est le moins qu’on puisse dire, n’est pas l’apôtre de l’apaisement et de l’entente cordiale entre les peuples. À peine revenu au pouvoir, le 47e président des États-Unis, climatosceptique convaincu, a frappé vite et fort, gelant les subventions sur l’environnement, remettant en cause la réalité et la gravité du réchauffement, multipliant les attaques contre la science et les faits avérés, favorisant l’industrie des énergies fossiles, nous faisant entrer brutalement dans un âge d’or de l’ignorance et dans une intelligence artificielle incontrôlée.Las, en attendant que revienne le pragmatisme, le monde du vivant ne se porte guère mieux et le dérèglement climatique s’accélère. Ces derniers mois, des mégafeux ont ravagé une nouvelle fois le Canada, la Californie et une partie de Los Angeles, des inondations sans précédent ont submergé Valence en Espagne, Freetown en Sierra Leone, des ouragans, toujours plus puissants en intensité, ont déferlé sur les côtes de Floride ou d’Indonésie, sur Mayotte et sur la Réunion, avec, à chaque fois, leur lot de destructions des écosystèmes et de populations désemparées. La faute, encore et toujours, à ces températures extrêmes qui s’affolent.
L’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée depuis 1850, en raison de l’accumulation toujours plus forte des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, générée par les activités humaines. Et le mercure de dépasser désormais les 15°C en moyenne sur la surface de la Terre, soit O,7°C de plus qu’en 1990 !Faut-il cependant sombrer dans le pessimisme ambiant ? « La légèreté est nécessaire, sinon le tragique serait mortel », se plait à répéter la dramaturge Yasmina Reza. Une maxime que nous ne manquerons pas de célébrer pour cette 22ème édition du Festival Photo La Gacilly. Nous avons creusé un sillon, celui d’une écologie positive ; nous avons compris que la photographie pouvait être aussi le réceptacle d’une énergie lumineuse ; nous avons magnifié notre village du Morbihan en l’offrant aux clichés des artistes exposés, comme autant de pépites ouvertes sur le monde. Continuer de s’émerveiller, de s’émouvoir, de comprendre sans parti pris les nouveaux défis environnementaux du XXI° siècle, de mettre en lumière les initiatives qui participent à cette harmonie malmenée entre l’Homme et la Terre sont autant de vertus qui aident à la tolérance et l’optimisme.
Une Angleterre si…exotique
Ce n’est donc pas un hasard, en ces temps tourmentés, si nous avons voulu accueillir sur nos terres bretonnes le regard décalé de nos cousins d’Outre-Manche qui savent si bien croquer notre époque, avec humour parfois, avec acidité souvent, avec lucidité toujours. Fascinante Angleterre. Nous allons souvent chercher l’exotisme bien loin. Il est peut-être plus proche qu’on ne le croit. Juste au nord de Douvres, par-delà les falaises. Entre la France et la Grande-Bretagne, c’est une longue histoire de mille ans, faite de malentendus et d’inimitiés, d’admiration et de respect. Sans doute parce que les Britanniques ne font rien comme les autres, surtout pas comme nous : ils roulent à gauche, ils ont leur propre monnaie, ils votent le Brexit, ils jouent aux fléchettes, ils croient aux fantômes et ont encore une monarchie. Et c’est probablement pour tout cela que nous les aimons. Ils ont leur singularité, leur créativité propre et ce brin d’excentricité qu’ils développent même dans les situations les plus sombres. Car au pays des costumes sobres et de l’éducation rigide, l’extravagance se cultive comme un art. Depuis Oscar Wilde, qui promenait un homard en laisse sur les quais de Londres, on sait que cette propension à défier l’entendement n’est pas nouvelle. Winston Churchill savait manier les mots et les calembours comme autant de piques pour ses adversaires. Les Monthy Python ont érigé l’humour loufoque et provocateur en véritable œuvre d’art, osant, ô sacrilège, tourner en dérision la vie du Christ ou celle, héroïque, du légendaire roi Arthur. Quant à George Brummel, « le roi de la mode », il passait quarante-cinq minutes à nouer sa cravate. À la fin de sa vie, exilé à Paris et harcelé par les créanciers, il donnait des réceptions imaginaires dans sa chambre de bonne, annonçant lui-même les invités fantômes dans la pièce vide. Les Beatles, les Rolling Stones ou même les Sex Pistols ont dynamité les mœurs mais ont toujours été de loyaux sujets de Sa Majesté. L’épopée anglaise regorge de ces personnalités qu’on juge déraisonnables ailleurs, mais qui, pour un Britannique, participent à l’identité d’un pays où le principe unificateur de la Couronne a toujours laissé place à la possibilité de se singulariser. Car l’irrévérence sert aussi l’idéal de la liberté.
Une programmation So British
Les photographes britanniques que nous mettons cet été à l’honneur ont ce style singulier. Ils sont So British car ils savent intelligemment capter l’âme. L’âme d’une époque, l’âme d’un pays, l’âme humaine. À La Gacilly, nous avons toujours voulu mettre à l’honneur les grands maîtres de la photographie : Sir Don McCullin, anobli par la reine Elisabeth II, est une légende. Car, tout long de sa carrière, il a toujours posé son objectif au plus près des individus, de ses vaillances et de ses peurs, de son inconscience et de ses convictions. Il n’a pas photographié la misère des exclus, il l’a dénoncée ; il n’a pas photographié la guerre, il a hurlé son absurdité ; il n’a pas photographié la campagne anglaise ni les paysages antiques, il a montré leur fragilité. Cette rétrospective que nous lui consacrons a le mérite de bousculer les esprits pour laisser intacte notre capacité d’éveil.
Si l’espièglerie reste l’apanage des Britanniques, Martin Parr en est le porte-drapeau photographique. Depuis plus de cinquante ans, cet infatigable chroniqueur de la société anglaise porte sur ses compatriotes, qu’ils soient d’origine modeste ou plus aisée, un regard implacable, sinon mordant, accentué par un art du cadrage (et du gros plan) parfaitement maîtrisé, une appétence pour les couleurs vives, et un habile recours à la lumière flash, grâce à laquelle il s’est affranchi de tout académisme. Où a-t-il trouvé son inspiration ? Martin Parr le reconnait, il voue une tendre admiration pour un artiste tristement oublié aujourd’hui, un génie de la dérision, un artiste disparu trop tôt à l’âge de 31 ans au début des années soixante-dix : Tony Ray-Jones. Nous ferons découvrir au public de La Gacilly cet observateur ironique des mœurs de son temps qui a donné à l’humour ses lettres de noblesse, sans jamais sombrer dans la méchanceté gratuite.
Ces deux précurseurs d’une photographie débridée et légère ont fait des émules. Peter Dench aime scruter les contradictions d’une société que l’on croit profondément attachée à la tradition : les sujets de la Couronne se pressent à toutes les cérémonies de leurs souverains, mais sont surpris dans leurs élans, dans un savant mélange de « trash» et de classe, d’absurdité et de sérieux, de flegme et d’excentricité. Quant à Josh Edgoose, très actif sur les réseaux sociaux, il arpente les rues de Londres à la recherche de l’inattendu, privilégiant les couleurs vibrantes, les détails incongrus, les moments de joie et de spontanéité. Chacune de ses images est le résultat d’un heureux hasard, d’une douce coïncidence, et c’est la première fois que son travail est montré en France. Ce « Swinging London » d’une capitale en permanente effervescence nous rappelle que toute une musique, pop et indomptée, est née sur les bords de la Tamise ou dans la banlieue de Liverpool pour ensuite déferler sur le monde. Terry O’Neill, a été le témoin de cette révolution bouillonnante et exaltée. Il a surtout été le confident photographique des enfants terribles de l’Angleterre, des Beatles aux Rolling Stones, de David Bowie à Elton John, faisant défiler devant son objectif tous les artistes participant à cette nouvelle scène artistique. Ses clichés sont désormais iconiques et nous plongerons avec nostalgie dans un monde pas si lointain.
Reste que la photographie britannique peut aussi s’enorgueillir d’avoir, depuis ses origines, jeté son dévolu sur les merveilles de la nature. Saviez-vous que le Royaume-Uni partage avec la France le privilège de l’invention de ce médium ? Si, depuis Chalon-sur-Saône, Nicéphore Niepce fut le premier à fixer une image sur une plaque métallique, c’est une Anglaise, une botaniste, qui fut la première femme à développer cette technique…en 1843 ! Anna Atkins fut une pionnière et nous présenterons à La Gacilly quelques-uns de ses cyanotypes, utilisés pour composer des herbiers à la beauté envoûtante, et d’une étonnante modernité quand on sait que de nombreux artistes contemporains utilisent à nouveau ce procédé vieux de près de 200 ans. Une nouvelle génération défend farouchement cet héritage d’une ode à la nature.
Trois femmes seront mises à l’honneur dans notre programmation : Gina Soden a fait des lieux abandonnés son royaume, explorant des manoirs et des vieilles demeures que leurs propriétaires ont quitté, des usines désaffectées, des hôpitaux délabrés, où la nature reprend ses droits, pour nous offrir des œuvres d’une rare poésie; Cig Harvey, quant à elle, joue avec les couleurs, avec nos expériences sensorielles, avec les corps se fondant dans les milieux naturels pour réveiller nos sensations et notre besoin de délicatesse ; Mary Turner, enfin, porte un regard tout en tendresse sur les populations marginalisées d’une Angleterre post-industrielle, avec un œil qui rappelle le cinéma de Ken Loach et place l’humain au cœur de tous ses clichés.
2025, année de la Mer
Les artistes nous éclairent et restent les sentinelles d’une terre malmenée. 2025 est l’année de la mer en France, avec un grand rendez-vous en juin au cours duquel notre pays accueillera la Conférence des Nations Unies pour l’Océan. Parce que nous aimons répéter que nous sommes la deuxième nation maritime mondiale, cela nous donne des responsabilités et des devoirs. Les océans, qui recouvrent 70% de la surface du globe, sont un régulateur majeur du climat terrestre, absorbant plus de 90% de l’excès de chaleur du système climatique provoqué par les émissions massives de gaz de serre. Des eaux plus chaudes entraînent des ouragans et des tempêtes toujours plus violentes, ce que nous observons aujourd’hui. Il faut rester vigilant face à ces constats alarmants, il faut que ces espaces maritimes restent en bonne santé, qu’ils puissent continuer à maintenir les grands équilibres permettant la vie sur terre. Notre Festival accompagnera cet événement : faire découvrir les beautés de la mer, faire connaître ses enjeux, seront au cœur de notre programmation. Qui de mieux que Laurent Ballesta pour nous dévoiler avec éclat le fragile écosystème du monde sous-marin ? Biologiste et photographe multi-primé, il nous transporte sous les glaces de l’Antarctique, dans le ballet des requins gris de Polynésie, à la découverte du coelacanthe, un poisson préhistorique qu’il fut le premier à immortaliser. Puis, nous prendrons un bain de fraicheur avec Robert Doisneau, dont l’œuvre s’étend bien au-delà de Paris et sa banlieue : à la faveur de commandes publicitaires ou de vacances en famille, il a promené son regard curieux, effronté et bienveillant sur le littoral français. Quant à Stéphane Lavoué, immense portraitiste devenu un compagnon de route de notre Festival, il est parti cet hiver à la rencontre des Travailleurs de la mer, celles et ceux dont l’activité est liée à l’océan. Pour cette commande initiée par le Conseil départemental du Morbihan, sémaphoristes, capitaines de remorqueurs ou mareyeurs nous racontent leur passion et cet élément marin qu’il faut savoir affronter. Quant au photographe indien Supratim Bhattacharjee, il a travaillé de longues années dans l’archipel des Sunderbans et nous montre le quotidien de populations confrontées aux catastrophes climatiques et à la montée des eaux : des phénomènes qui risquent de nous toucher bientôt si nous continuons à nous voiler la face.
L’émotion d’une écologie positive
Découvrir le monde qui nous entoure pour mieux le comprendre avec des photos qui parlent au cœur le langage universel de l’émotion, c’est aussi la mission que nous nous sommes assignés. Françoise Huguier, infatigable voyageuse, photographe de mode et membre de l’Académie des Beaux-Arts, nous fait l’honneur d’une escale à La Gacilly à l’occasion de son livre événement publié cet été, « Afrique émoi », un hommage à cette terre qu’elle affectionne depuis près de 40 ans et dont elle explore l’âme du Mali à l’Éthiopie, du Bénin au Mozambique, avec des clichés teintés de poésie et une écriture sans fioritures.
Nous resterons en Afrique, en Tanzanie, pour découvrir le travail au long cours de Frédéric Noy : dans le cadre des commandes photographiques de la Fondation Yves Rocher sur les sanctuaires vivants à préserver, il s’est intéressé à un parc peu connu, celui d’Udzungwa où, au cœur d’une forêt primaire, vivent des populations de singes endémiques menacés par l’urbanisation. Car sans cesse, le monde sauvage recule et des terres vierges sont peu à peu accaparées par l’activité humaine. Dans un essai autant documentaire qu’artistique, Axelle de Russé a rejoint nos deux mondes polaires habités, dans le Nord et dans le Sud, en utilisant la technique de l’infrarouge : on s’aperçoit dès lors que le Svalbard et la Patagonie chilienne, confrontés au réchauffement climatique, peu à peu s’attirent, se confondent, et souffrent des mêmes maux : la hausse des températures et l’arrivée du tourisme de masse. On l’a dit précédemment, le monde sauvage se réduit comme peau de chagrin. Collaborateur régulier du National Geographic, Corey Arnold le prouve avec ce reportage étonnant sur ces ours, ces coyotes, ces ratons-laveurs qui s’aventurent dans nos villes à la recherche d’une nourriture qu’ils ne trouvent plus dans leurs espaces originels. Des images qui prêteraient à sourire si elles ne traduisaient pas toute la complexité d’un modernisme invasif.
Pour clore cette édition, comme un cadeau éphémère à la nature, une ode au voyage et à la contemplation, nous exposerons l’univers sensoriel et esthétique de François Fontaine, lauréat 2025 du Prix Leica des Nouvelles écritures de la photographie environnementale. Ses images, prises au moment de la splendeur des floraisons, sont comme des estampes où se dévoilent des jeux de lumière, la magie des reflets, le vent dans les arbres, l’éclosion d’une nouvelle saison.
On dit que la bonne humeur est contagieuse. Cette nouvelle édition se veut un vent de fraicheur dans une époque ténébreuse, pour célébrer la vie et la faire aimer.
Cyril DROUHET
Commissaire des expositions du Festival Photo La Gacilly
